---- [ ☀ ] pi476 (nl) (fr) (de) -en- (pl) (ru)



http://claudepiron.free.fr/articles.htm
http://claudepiron.free.fr/articlesenesperanto/verkisto.htm
http://claudepiron.free.fr/articlesenfrancais/ecrivain.htm
http://claudepiron.free.fr/articlesenneerlandais/eenschrijver.htm

Espéranto : le point de vue d’un écrivain



Le génie d’une langue

Chaque langue a son génie propre, qui fait d’elle une manifestation unique de la créativité langagière humaine. Tout se passe comme si chaque collectivité linguistique avait sa conception générale, largement inconsciente, de la communication, laquelle s’incarnerait dans quelques principes directeurs applicables à la formation de la pensée. Par exemple, là où le français exige une explicitation claire des rapports, l’anglais se satisfait d’une simple évocation. Les expressions malaria treatment et malaria therapy se composent de deux mots, l’un identique, l’autre synonyme, situés de le même façon.

Pourtant la première signifie "traitement du paludisme" et la seconde "traitement par le paludisme", "impaludation thérapeutique". Le génie de la langue anglaise lui permet de se contenter d’une juxtaposition de notions qui, réunies, évoquent l’idée. Pour le français, pareille conception est aberrante. Les articulations lui sont nécessaires, si nécessaires, en fait, qu’il s’est doté, à la différence des autres idiomes, d’une conjonction exclusivement réservée à l’articulation logique : or.

Comme toute langue, l’espéranto a son génie propre. La différence qu’il présente par rapport à l’anglais et au français à cet égard apparaît nettement dans les trois expressions suivantes :

Here is my bicycle

Bicycle trip

He wants to bicycle

Jen mia bicikl-o [1]
[ Jenmia biciklo ]

Bicikl-a ekskurso
[ Bicikla ekskurso

Li volas bicikl-i
[ Li volas bicikli]

Voici mon vélo

Sortie à vélo

Il veut aller à vélo

(Normalement, en espéranto, on ne met pas de trait d’union entre la racine bicikl et la voyelle finale. Cet artifice n’a été introduit ici que pour faire ressortir ce qui est l’une des caractéristiques de la langue, très importante pour l’écrivain.)

L’anglais emploie trois fois le même mot, en en faisant, sans changement de forme, un nom, un adjectif, ou un verbe : c’est le contexte qui permet de comprendre quel rôle joue le mot dans la phrase. L’espéranto module le monème bicikl en lui ajoutant une terminaison qui en détermine la fonction : substantive (o), adjective (a) ou verbale-infinitive (i). Quant au français, il se débrouille pour utiliser un substantif dans les trois cas, quitte à le faire précéder d’une préposition ou à rajouter un verbe au sens général.

Propriétés de l’espéranto déterminant le génie de cette langue

Le génie de l’espéranto tient essentiellement à quatre traits :

1) invariabilité absolue de monèmes susceptibles de s’associer à l’infini ;

2) possibilité d’assigner à tout lexème - à tout concept, en fait - n’importe quelle fonction grammaticale moyennant une marque précise (voyelle finale) ;

3) droit de généraliser toute structure linguistique ;

4) liberté de construction.

Les exemples présentés ci-dessous suffiront sans doute à illustrer ce dont il s’agit :

1. En anglais on dit to see "voir", mais on ne peut pas dire unseeable "invisible". En espéranto, une telle impossibilité est impensable. Le monème vid- ne change pas quand on passe de "voir" à "invisible" : vidi > nevidebla ; en fait, l’adjectif nevidebla, "invisible", n’est qu’une autre façon d’ordonner les éléments de la phrase "on ne peut pas voir" : ne eblas vidi. À cet égard, le fonctionnement de l’espéranto rappelle celui du chinois.

2. La possibilité de "moduler" n’importe quel concept selon les quatre fonctions grammaticales de base - substantive, adjective, adverbiale, verbale - qui est l’une des caractétistiques de l’espéranto et ne souffre pas d’exception, n’a pas d’équivalent en français : l’exemple ci-dessous offre huit mots formés régulièrement pour lesquels le tableau correspondant, dans notre langue, présente trois lacunes :

muziko

"musique"

 

kanto

"chant"

muzika

"musical"

 

kanta

 ?

muzike

"musicalement"

 

kante

 ?

muziki

 ?

 

kanti

"chanter"

Bien que les deux concepts soient très proches quant au sens, la possibilité de les utiliser dans n’importe quelle catégorie grammaticale est limitée en français, elle ne l’est pas en espéranto.

3. En espéranto, quiconque a appris à dire "voir" / "il voit" / "il ne voit pas" - vidi / li vidas / li ne vidas - sait qu’il pourra dire, sans risque de se tromper "être" / "il est" / "il n’est pas" : esti / li estas / li ne estas. La même structure est valable pour tous les verbes et pour toutes les négations. En anglais on ne peut pas déduire to be / he is / he is not de to see/ he sees / he does not see. De même, en espéranto, ayant rencontré la structure samlandano "compatriote" (sam-land-ano), on pourra former samreligiano "coreligionnaire", samlingvano "personne qui parle la même langue", sampartiano "personne du même parti". En anglais, comme en français, le fait de connaître le mot "compatriote", fellow-citizen, n’est d’aucun secours lorsqu’on a besoin de parler de "coreligionnaire", co-religionist, et il est impossible d’exprimer l’idée "personne de la même langue" en un seul mot .

4. Quant à la liberté de construction, qu’il suffise de donner l’exemple de la manière dont le complément se rattache au verbe. En espéranto, pour dire "il me remercie", on peut aussi bien dire li dankas min que li min dankas, li al mi dankas ou li dankas al mi.

Pour l’écrivain, ces traits sont une bénédiction, car ils multiplient dans une mesure appréciable la gamme des variations possibles. Voyons-le avec une phrase toute prosaïque : "j’irai à l’hôtel en taxi". On peut la rendre en espéranto sur le mode analytique, avec des substantifs et des prépositions : mi iros al la hotelo per taksioo. Mais on peut préférer une formule plus percutante, de type synthétique, en attribuant au monème "taxi" la marque du verbe au futur (os) et au monème "hôtel" celle de la direction (en) : hotelen mi taksios. On peut aussi choisir pour verbe l’expression "à l’hôtel" et exprimer le mode de transport par la forme en -e, qui indique la manière, le moyen ou la circonstance : mi alhotelos taksie. Le fait qu’une forme en —e soit souvent précisée par l’accolement d’un morphème prépositionnel ajoute une possibilité supplémentaire : mi pertaksie alhotelos.

Celui qui entend utiliser la langue à des fins esthétiques ou artistiques est enchanté d’un matériau qu’il peut ainsi modeler à sa guise sans jamais gêner la compréhension. Examinons la chose de plus près.

L’aspect musical de l’expression

Pour le poète, mais aussi pour le prosateur, la musique des mots revêt une importance capitale. On peut y distinguer deux éléments : les sonorités et le rythme.

a) Les sonorités

La liberté qui est l’une des caractéristiques de l’espéranto s’applique dans une certaine mesure aux sonorités. L’écrivain choisit ses terminaisons selon ce qui lui paraît le mieux adapté à l’atmosphère qu’il veut rendre. Dans piedirado al la urbo en la mezo de l'somero "un (long) déplacement à pied jusqu’en ville au milieu de l’été", la répétition des -o aux mêmes points d’un rythme régulier (vv-v / vv-v / vv-v / vv-v) évoque une marche monotone, fatigante, sous un soleil de plomb. Mais si cette marche s’est déroulée dans la gaîté et la légèreté, l’auteur préférera une autre formule, par exemple somermeza marŝo urben.  [2]

De nombreux ouvrages et encyclopédies affirment qu’en espéranto "les substantifs se terminent par -o, les adjectifs par -a, les adverbes par -e, les verbes à l’infinitif par -i..." C’est inexact. Ces finales indiquent, non des catégories grammaticales, mais les diverses fonctions que tout concept peut assumer en se formulant. Elles permettent d’agréables variations de sonorité. Pour rendre l’idée "sans flamme(s)", l’écrivain a le choix entre sen flamo ou sen flamoj, sen flami ("sans faire de flammes"), senflame et senflama. Les variations ne sont pas limitées aux voyelles. Si, pour une raison quelconque je voulais exprimer l’idée "brûler" en évitant le son br de bruli, je peux dire flami ou fajri(fajro), "feu"). L’élargissement de la gamme des synonymes dû à l’absence de catégorie grammaticale rigide multiplie sensiblement les possibilités de variation phonétique.

L’espéranto a un pluriel en -j qui vient de l’indo-européen, et une forme en -n qu’on appelle souvent accusatif, bien que cette terminologie soit inadaptée à une langue qui procède par agglutination et non par flexion. Ce -n présente beaucoup d’avantages, ne fût-ce qu’en libérant l’ordre des mots sans nuire à la clarté : la fraton li amis, tiun banditon "il aimait son frère, ce bandit" (le bandit est le frère) ; la fraton li amis, tiu bandito "il aimait son frère, ce bandit" (le bandit est le sujet du verbe "aimait").

Personnellement je n’aime pas beaucoup le -jn de l’ "accusatif pluriel" ; c’est là un goût subjectif qui est loin d’être partagé par tout le monde, mais puisqu’il se trouve être le mien, je dois dire que j’apprécie beaucoup les ressources de l’espéranto qui permettent de l’éviter dans bien des cas [3]. Par exemple, là où l’un de mes collègues dira multajn temojn li instruis al mi "il m’a appris beaucoup de choses", j’utiliserai la préposition pri, "au sujet de" : pri multaj temoj li instruis min. Je peux même éviter le -j grâce au monème -ar- qui désigne un ensemble : vastan temaron (ou ampleksan temaron) li instruis al mi. Le monème -ad- , qui souligne la durée ou la répétition de l’action, offre une autre possibilité. On peut remplacer li ne eltenis viajn oftajn kritikojn "il n’a pas supporté vos fréquentes critiques" par li ne eltenis vian oftan kritikadon.

Associant la liberté de construction à celle de dérivation, j’évite aisément une finale qui ne me plaît guère. La traduction mot à mot de "il regardait les gamins, bruyants, sales, batailleurs, qui..." serait li rigardis la bubojn, bruajn, malpurajn, batalemajn, kiuj. .., mais si je trouve qu’il y a trop de formes en -n dans cette phrase, je dirai li rigardis al la brua, malpura, batalema bubaro. Enfin, la possibilité de passer d’une catégorie grammaticale à l’autre sans rallonger le mot (comparez l’espéranto sistemo, sistema, sisteme au français système, systématique, systématiquement) offre souvent des solutions à ce type de problème subjectif. Au lieu de li amuzis la multajn studentojn kaj sportulojn, kiuj svarmis tie "il amusa les nombreux étudiants et sportifs qui se pressaient là en foule", j’écrirai par exemple li amuzis la tiean svarmon studentan kaj sportulan.

b) Le rythme

Le rythme est largement déterminé, en espéranto, par l’accent tonique, invariablement placé sur l’avant-dernière syllabe du mot (mia "mon", "ma" a deux syllabes, l’accent tombe sur mi, comme dans l’italien mamma mia). Comme l’ordre des mots est affaire de style ou de mouvement affectif et non d’obligation grammaticale, les possibilités de variation décrites ci-dessus permettent une très grande liberté rythmique. Pour reprendre la phrase prosaïque donnée plus haut comme exemple, vous pouvez dire sur un rythme trochéique mi taksie alhotelos (-v / -v / -v / -v), sur un rythme amphibraque mi iros taksie hotelen (-v- / -v- / -v-), sur un rythme iambique hotelen mi taksios (v- / v- / v- / v), ou en formant deux dactyles moyennant l’adjonction d’une syllabe, par exemple do "donc", qui ne modifie guère le sens général : al la hotelo mi do taksios (-vv-v / -vv-v), ou le préfixe ek- qui indique le commencement de l’action : al la hotelo mi ektaksios (mi ektaksios veut dire : "je prendrai un taxi" ; comme al indique toujours la direction, le mouvement vers..., il n’y a aucune ambiguité quant au sens).

Un jour où j’avais dans la tête un rythme typique des folklores grec et yougoslave (-vvv / -vvv / -v // -vvv / -vvv /-v), un poème m’est venu, dont les vers se sont ordonnés sur ce rythme avec une déconcertante facilité : Kiam mi trastumblis la dezerton / kiam mi vagadis tute sola ("Alors que je traversais le désert d’un pas chancelant / alors que j’errais longuement, totalement seul..."). Je ne crois pas que cette pièce ait une valeur littéraire transcendante - elle décrit le vécu d’un rêve dont je venais de me réveiller - mais j’ai été frappé en l’écrivant de l’aisance avec laquelle les mots se mettaient en place pour exprimer selon un schéma rythmique rigoureux les sentiments ressentis dans le rêve qui m’habitait. Cette souplesse de l’espéranto en fait une langue particulièrement bien adaptée au genre chanson.

En prose aussi le rythme est important. La liberté de construction de l’espéranto apporte à cet égard une aide bienvenue. Prenons le cas d’un discours se terminant par "Ils vous aideront". Vous choisirez Ili helpos vin si un rythme du type /-v -vv/ vous satisfait en l’occurrence. Mais si vous préférez terminer sur le rythme /-vv -v/ cher aux poètes latins, la liberté grammaticale de la langue vous le permet : Ili vin helpos. Et rien ne vous empêche de faire porter plus particulièrement l’accent sur "vous" et dire Ili helpos al vi /-v -vv -/ .

Bien sûr, ces choix se font instinctivement. Lorsque, en se relisant, on remplace telle forme par telle autre, on le fait simplement en se disant : "Ça sonne mieux comme ça" sans vraiment se poser la question de savoir pourquoi. Il n’en reste pas moins que cette possibilité de jouer à la fois sur les rythmes et sur les sons est très satisfaisante. Imaginons qu’un de vos personnages exprime ses préjugés à l’égard d’un peuple qui ne trouve grâce à ses yeux à aucun point de vue. Il dit que tout chez eux le dégoûte, et cite en particulier "leur façon de penser, de faire la cuisine et de parler". Si vous trouvez que ilia maniero pensi, kuiri kaj paroli est peu euphonique du fait de la présence répétée du son /i/ à la fin de chaque groupe de souffle, il est agréable de savoir que vous n’avez pas à vous creuser longuement la cervelle pour résoudre le problème. Quoi de plus simple que de dire ilia pensmaniero, kuirmaniero kaj parolmaniero ou ilia maniero pensi, kuiri kaj esprimi sin parole, qui signifient exactement la même chose ?

L’aspect "évocation"

La multiplicité des variations possibles permet, avec des moyens d’une étonnante simplicité, de choisir avec soin ce que l’on veut évoquer. Voulant exprimer l’idée "il chante bien", j’opterai pour li kantas bone ou li kantas bele selon que le mot "bien" évoque plutôt la justesse du chant ou plutôt sa beauté.

Pour exprimer l’idée "À l’étranger, rencontrer quelqu’un qui parle le même dialecte..." je dirai Eksterlande renkonti iun, kiu parolas la saman dialekton si je veux donner à la formule une connotation neutre, objective, presque administrative. Mais si je veux faire sentir tout le plaisir qu’il y a à rencontrer une personne originaire du même coin de terre quand on se trouve dans un environnement dépaysant, je dirai plutôt Fremdlande renkonti samdialektanon. Ces trois mots expriment l’idée intégralement, mais le monème fremd a des connotations nettement plus affectives, il évoque le différent, le non-familier, le sentiment d’être ressenti par les autres comme pas tout à fait normal, et samdialektano fait vibrer toutes sortes d’harmoniques ayant partie liée avec la série "compatriote", "coreligionnaire", "co-équipier", qui comprend, en espéranto, bien d’autres termes sans équivalent français ou anglais, comme samrasano, "frère par la race", ou samvalano, "personne de la même vallée", qui dégagent toute une atmosphère de solidarité, de communauté, de co-appartenance inexistante dans la première expression.

Par ailleurs, le contact répété avec l’étranger ayant d’autres habitudes langagières développe chez l’espérantophone le sens de ce qu’on pourrait appeler la métaphore universelle. Si l’on exprime l’idée de procéder lentement par le mot évocateur limaki, qui n’est que la forme verbale du mot "limace", on sait qu’on sera compris par les espérantophones coréens, chinois et japonais aussi bien que par ceux d’Amérique latine. Il en va de même pour une expression comme ideo trazigzagis lian menson "une idée lui a traversé l’esprit tel un éclair zigzagant."

Les interactions entre les peuples universalisent bien des métaphores qui, sans cela, ne seraient pas compréhensible du premier coup. Quand un Chinois raconte son vécu de hong xiaobing, "garde rouge", il donne au mot hong "rouge" une connotation qui vient d’Occident. Réciproquement, quand nous disons perdre la face, nous traduisons mot à mot une expression chinoise. Les contacts entre espérantophones de pays très divers ont, de la même manière, doté la langue d’expressions imagées, comme elturni sin el sakstrato "se tirer avec finesse d’une impasse" (el correspond au latin ex, à l’anglais from, out of ; turni "tourner" ; si "soi" ; sakstrato "cul de sac" ; en fait, l’expression elturni sin est une traduction littérale du russe вывернуться : on peut dire qu’il s’agit là d’un exemple d’interfécondation des langues).

Enfin, certains éléments de l’espéranto engendrent des termes très évocateurs sans qu’il soit facile de déterminer pourquoi. C’est le cas en particulier du monème -um- qui forme des mots dont les connotations n’ont d’équivalent, à ma connaissance, dans aucune autre langue. Butikumi est plus près de "lécher les vitrines" que de "faire ses courses". Quand, à l’issue d’une réunion de travail, on propose à ses collègues de venir kafumi, il s’agit d’autre chose que de simplement boire un café (qui se dirait trinki kafon, kaftrinki ou kafi)  ; kafumi évoque un climat à la fois plus chaleureux et plus cool (ô paradoxe !), plus relax en tout cas. Et amikumi est impossible à rendre en français dans toute sa beauté sereine. Des traductions comme "passer du temps entre amis", "vivre dans le concret une relation d’amitié", "frayer avec des gens qu’on aime" tournent autour du pot sans offrir de traduction exacte. Elles sont toutes trop précises et trop matérielles pour exprimer ce qui est essentiellement une ambiance affective.

L’intérêt des monèmes utilisables comme affixes

Ce -um- offre un exemple de ces brefs monèmes qui multiplient avec bonheur les possibilités d’expression. Un autre exemple nous est fourni par -em- , qui indique la tendance, la propension, le fait d’être poussé à ... Ce monème permet souvent d’être concis et expressif dans l’énonciation d’un trait de caractère ou d’un comportement. Kisema [4] veut dire "qui embrasse pour un oui ou pour un non", kantema "qui a tout le temps une chanson à la bouche", "enclin à chanter", legema "grand amateur de lecture". Mais, comme tous les affixes, il peut aussi être un mot à part entière du moment qu’il prend la terminaison qui indique sa fonction : Mi sentas emon kisi vin "je me sens porté à vous embrasser". On retrouve ce même suffixe dans une phrase comme La herbo verdis, bluis la lago, la juna japano rigardis ŝin foteme, "l’herbe verdoyait, le lac étincelait d’azur, le jeune Japonais la regardait avec une forte envie de la prendre en photo". Cette traduction fait perdre à l’original une bonne partie de sa simplicité. On remarquera incidemment que si le français a verdoyer, blui pose un problème de traduction, voire de conceptualisation. Il ne vient pas normalement à l’esprit d’un francophone qu’un lac, une mer, un ciel peuvent "bleu-oyer". Quant à l’anglais, il n’a d’équivalent exact ni de verdi ni de blui. L’avantage que l’espéranto revêt à cet égard est particulièrement apprécié des traducteurs. Dans une phrase russe comme вдали чернела лодка - "au loin une barque se détachait en noir" - le mot russe чернеть, intraduisible ("donner une impression de noir", "apparaître en noir") se traduit exactement, et tout simplement, par nigri en espéranto : fore nigris boato.

Mais revenons à notre jeune Japonais amateur de photographie. On aurait pu remplacer foteme par fotemule, introduisant ainsi une nuance différente : -ul- indique la personne qui... ou qui est caractérisée par ... Fotemulo, c’est quelqu’un (-ul-) qui a tendance (-em-) à photographier (fot-). Fotemule signifierait "en passionné de photo qu’il était".

Ce monème -ul- rend au narrateur des services appréciés en augmentant la variété dans la désignation des personnages : pipulo "l’homme à la pipe" ; blujakulo "l’homme au veston bleu" ; diklipulo "le personnage aux lèvres épaisses" ; belfrazulo "le type qui fait de belles phrases", "le beau parleur".

Un autre atout de l’espéranto dont l’écrivain ne peut que se féliciter est sa série de participes. En effet, aux terminaisons de l’indicatif : -as (présent), -is (passé), et -os (futur) correspondent un jeu de participes actifs (-ant-, -int-, -ont-) et passifs (-at-, -it- , -ot-), qui, grâce aux terminaisons fonctionnelles, favorisent une expression ramassée, souvent très vivante : rigardate, li balbutis "comme on le regardait, il bégaya" ; la sekvato "celui qu’on était en train de suivre", la sekvito "celui qu’on avait suivi" ; la bubo, batote, forkuris "le gamin, sur le point d’être battu, s’enfuit" ; la skribota noto "la note qu’il se proposait d’écrire" ; ridinte "après avoir ri" ; se la minacinto revenos "si celui qui a proféré des menaces revient".

Les combinaisons de monèmes comme aide à la conceptualisation

La possibilité de combiner les monèmes entre eux sans restriction permet souvent d’utiliser une formule concise pour un concept qui, dans une autre langue, paraîtrait trop complexe. Le numéro de juillet 1984 d’ Espero Katolika contient (pp. 117-125) un article où revient constamment le mot diregna "qui est de l’ordre du Royaume de Dieu" (< di- "dieu", regn- "règne", -a fonction adjective ou génitive). Mais dans ce texte le mot en question n’est lui-même que le point de départ d’un vaste réseau de dérivés, tels que diregnulo "quelqu’un qui agit dans le sens du Royaume de Dieu", kundiregnulo "co-participant à l’action en faveur du règne de Dieu", "qui est lui aussi dans la mouvance du Royaume de Dieu", diregneco (attention, le c se prononce /ts/) "le fait d’être diregna, le fait d’appartenir à ce qui va dans le sens du règne de Dieu". Ces exemples suffiront sans doute à donner au lecteur une idée de la richesse que comporte une combinatoire sans faille, permettant l’introduction de nouveaux concepts sans imposer la mémorisation d’un vocable réellement nouveau : le mot diregna n’a peut-être été employé pour la première fois qu’en 1984, mais il faisait déjà partie de la langue en 1887.

Bref aperçu sur les fondements psycholinguistiques de la maniabilité de l’espéranto

L’espéranto se révèle à l’usage un moyen d’expression artistique à la fois souple, riche et simple, où toute la virtuosité de la sensibilité humaine peut se déployer sans contrainte. Pour expliquer les raisons de ce phénomène, une analyse psycholinguistique approfondie serait nécessaire. Disons simplement que l’espéranto s’insère, dans les structures mentales, à un niveau plus profond que la plupart des autres langues, dans une couche plus proche de celles où la pensée se verbalise spontanément.

Quand je parle à un Français, je traduis consciemment par quatre-vingt-dix le nonante qui se présente en moi comme première verbalisation du concept, afin de faciliter la communication. De la même manière, dans l’enfance, j’ai remplacé consciemment les chevals par les chevaux, vous disez par vous dites, si j’aurais par si j’avais, plus bon par meilleur, etc. Les formules correctes m’ont été imposées à la fois par la contrainte parentale et scolaire et par un désir d’intégration impliquant une imitation aussi parfaite que possible de mon environnement humain. Le vernis produit par cette longue discipline est épais et relativement solide, mais ce n’est qu’un vernis : vienne une grande émotion, un excès d’alcool ou une anesthésie dont je me réveille, et voilà les formes proscrites qui montrent le bout du nez.

Or, ces formes sont le premier niveau, le fruit immédiat du processus de verbalisation. Pourquoi tant d’Anglo-Saxons apprenant le français disent-ils si j’aurais alors qu’une traduction littérale de If I had donnerait si j’avais ? Parce que le simple fait de concevoir un tel énoncé fait vibrer dans les structures mentales l’ensemble du système sémiotique "hypothèse", ce qui a pour effet d’activer le schème "mettre au conditionnel" - ou, plus exactement, le rèflexe "utiliser une forme en -rait" - qui en est le signe le plus typique et le plus fondamental. Il y a alors conflit entre un réflexe naturel et un réflexe conditionné, c’est-à-dire entre un processus psycholinguistique inscrit dans nos connexions nerveuses et les forces qui, sous l’effet de l’éducation, se mobilisent pour l’inhiber.

L’espéranto, lui, n’a pas de vernis [5]. L’écrivain qui dit bele muskola ulo, littéralement "un type bellement musclé", utilise la formule qui lui vient directement à l’esprit, au premier niveau. En français, il est contraint de passer à un deuxième niveau, parce que bellement n’existe pas. Son ordinateur mental, suivant la programmation courante, s’apprète alors à afficher joliment, mais ce mouvement est lui aussi bloqué : les connotations de joli sont incompatibles avec l’idée de puissance, de force physique qu’il veut exprimer. Il devra donc chercher une autre formule, plus compliquée, pour une idée d’une totale simplicité. Ce cheminement sur un terrain hérissé de barrières et de sens interdits représente une dépense considérable d’énergie nerveuse. On peut faire l’hypothèse que pour s’épargner cette dépense la plupart des individus préfèrent les sentiers battus, renonçant souvent à concevoir des idées originales qui leur seraientnaturelles, mais auxquelles leur langue n’autorise aucune issue. En espéranto, on se sent libre comme l’enfant préscolaire qui joue,crée en jouant et qui ne se préoccupe pas de savoir si les mots qu’il compose sont conformes à une norme sans rapport avec les besoins de la communication.

L’espéranto présente donc beaucoup d’avantages pour celui qui l’aborde en artisan de l’écriture. Certes, son lexique de base est bien plus limité que celui du français ou de l’anglais. Mais cette restriction est largement compensée par sa combinatoire infinie, qui permet de formuler les concepts en produisant des mots souvent très expressifs, et par son climat général de liberté, qui amène à émettre des nuances inexprimables dans d’autres langues, par simple alignement spontané de l’énoncé sur ce qui est conçu ou ressenti.

Quant aux satisfactions affectives que son public procure à l’écrivain espérantophone, ce n’est pas le lieu de les mentionner ici. Mais comment taire la joie qu’il y a à recevoir des lettres de lecteurs de Mongolie, de Patagonie ou de Sibérie, même si elles ne ménagent pas leurs critiques ? Il y a un grand plaisir à constater qu’on est compris à un niveau si "vastement" interculturel. Cette joie est l’un des éléments du sentiment de reconnaissance que l’écrivain espérantophone ne cesse d’éprouver pour l’instrument si riche et si souple, et pourtant si modeste, dont l’histoire linguistique du genre humain lui a fait cadeau.

Claude Piron


[1] Le c espéranto se prononce toujours /ts/ comme en tchèque, en croate et en polonais, le j se prononce /j/, c’est-à-dire a le son du y de yes et de boy. Les voyelles ont, en gros, la même valeur qu’en italien (u = "ou" français, e jamais muet ; accent tonique toujours sur l’avant-dernière syllabe).

[2] La lettre ŝ a le son du ch français.

[3] Ce goût est en train d’évoluer depuis qu’un ami m’a fait remarquer que beaucoup de mots français parfaitement euphoniques se terminent par -gne (montagne, cygne, ligne, cogne, campagne, etc.) et qu’il y avait somme toute fort peu de différence, à l’audition, entre ce son et celui du -jn de l’espéranto, qui d’ailleurs, a-t-il ajouté, se retrouve dans beaucoup de langues (anglais coin, sirloin, fine... ; allemand neun, Freund, klein...), où personne n’y trouve rien à redire. J’avais été influencé, quand j’étais adolescent, par l’affirmation d’un adulte qui avait pris cet exemple pour me démontrer que l’espéranto était "laid", et donc nul.

[4] Prononcer kisséma, kicéma ; le s ne se prononce jamais /z/.

[5] Il utilise le conditionnel (la forme en -us) dans la subordonnée : se mi konus lin, mi lin demandus "si je le connaissais, je lui demanderais".


incorrect car en cours----vortari\pi476_en--- 2019-01-08 18:10:01
2307 reserĉoj, 851 serĉadoj, 332 ekserĉoj, 103 serĉiĝontoj, 0 serĉeraro
 
.
al
al: to
.
alhotelos
al: to
hotel': hotel
os: ending of future tense in verbs
.
amikumi
amik': friend
um': this syllable has no fixed meaning
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
amis
am': love
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
ampleksan
ampleks': extension
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
n: ending of the objective, also marks direction
.
amuzis
amuz': amuse
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
balbutis
balbut': stammer
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
bandito
bandit': bandit
o: ending of nouns (substantive)
.
banditon
bandit': bandit
o: ending of nouns (substantive)
n: ending of the objective, also marks direction
.
batalema
batal': fight
em': inclined to, having a tendency ▌babil'em': talkative ♦ babil': chatter
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
batalemajn
batal': fight
em': inclined to, having a tendency ▌babil'em': talkative ♦ babil': chatter
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
n: ending of the objective, also marks direction
.
batote
bat': beat
ot': ending of fut. part. pass. ▌far'ot': about to be done ♦ far': do
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
bele
bel': beautiful
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
belfrazulo
bel': beautiful
fraz': sentence
ul': person noted for... ▌avar'ul': miser, covetous person ♦ avar': covetous
o: ending of nouns (substantive)
.
bicikla
bicikl': bicycle, bike, cycle
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
bicikli
bicikl': bicycle, bike, cycle
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
biciklo
bicikl': bicycle, bike, cycle
o: ending of nouns (substantive)
.
blui
blu': blue
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
bluis
blu': blue
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
blujakulo
blu': blue
jak': jacket
ul': person noted for... ▌avar'ul': miser, covetous person ♦ avar': covetous
o: ending of nouns (substantive)
.
boato
boat': boat, bark
o: ending of nouns (substantive)
.
bone
bon': good
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
brua
bru': noise
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
bruajn
bru': noise
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
n: ending of the objective, also marks direction
.
bubaro
bub': wicked boy
ar': a collection of objects ▌arb'ar': forest ♦ arb': tree
ar'o: set ♦ o: ending of nouns (substantive)
.
bubo
bub': wicked boy
o: ending of nouns (substantive)
.
bubojn
bub': wicked boy
o: ending of nouns (substantive)
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
n: ending of the objective, also marks direction
.
butikumi
butik': shop, hall
um': this syllable has no fixed meaning
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
dankas
dank': thank
as: ending of the present tense in verbs
.
de
de: of, from
.
demandus
demand': demand, ask
us: ending of conditional in verbs
.
dezerton
dezert': desert
o: ending of nouns (substantive)
n: ending of the objective, also marks direction
.
dialekton
dialekt': dialect
o: ending of nouns (substantive)
n: ending of the objective, also marks direction
.
diklipulo
dik': thick
lip': lip
ul': person noted for... ▌avar'ul': miser, covetous person ♦ avar': covetous
o: ending of nouns (substantive)
.
diregna
Di': god
regn': kingdom
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
diregneco
Di': god
regn': kingdom
ec': denotes qualites ▌bon'ec': goodness ♦ bon': good
ec'o: property, -ness, -ship, -ity, quality ♦ o: ending of nouns (substantive)
.
diregnulo
Di': god
regn': kingdom
ul': person noted for... ▌avar'ul': miser, covetous person ♦ avar': covetous
o: ending of nouns (substantive)
.
do
do: then, indeed, however
.
eblas
ebl': able, possible ▌kompren'ebl': comprehensible ♦ kompren': comprehend
as: ending of the present tense in verbs
.
ekserĉoj
ek': begin, start, come on, set in ▌ek'kri': cry out ♦ kri': cry
serĉ': search
o: ending of nouns (substantive)
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
.
ekskurso
ekskurs': excursion
o: ending of nouns (substantive)
.
eksterlande
ekster: outside, besides
land': land, country
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
ektaksios
ek': begin, start, come on, set in ▌ek'kri': cry out ♦ kri': cry
taksi': taxi
os: ending of future tense in verbs
.
el
el: from, out from
.
eltenis
el: from, out from
ten': hold, grasp
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
elturni
el: from, out from
turn': turn (vb.)
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
emon
em': inclined to, having a tendency ▌babil'em': talkative ♦ babil': chatter
em'o: desire ♦ o: ending of nouns (substantive)
n: ending of the objective, also marks direction
.
en
en: in (when followed by the accusative: into)
.
esprimi
esprim': express (vb.)
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
estas
est': be
as: ending of the present tense in verbs
.
esti
est': be
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
fajri
fajr': fire
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
fajro
fajr': fire
o: ending of nouns (substantive)
.
flami
flam': flame
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
flamo
flam': flame
o: ending of nouns (substantive)
.
flamoj
flam': flame
o: ending of nouns (substantive)
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
.
fore
for: forth, out
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
forkuris
fork': fork
ur': ure-ox, wid-bull
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
foteme
fot': photograph
em': inclined to, having a tendency ▌babil'em': talkative ♦ babil': chatter
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
fotemule
fot': photograph
em': inclined to, having a tendency ▌babil'em': talkative ♦ babil': chatter
ul': person noted for... ▌avar'ul': miser, covetous person ♦ avar': covetous
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
fotemulo
fot': photograph
em': inclined to, having a tendency ▌babil'em': talkative ♦ babil': chatter
ul': person noted for... ▌avar'ul': miser, covetous person ♦ avar': covetous
o: ending of nouns (substantive)
.
fraton
frat': brother
o: ending of nouns (substantive)
n: ending of the objective, also marks direction
.
fremdlande
fremd': strange, foreign
land': land, country
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
helpos
help': help
os: ending of future tense in verbs
.
herbo
herb': grass
o: ending of nouns (substantive)
.
hotelen
hotel': hotel
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
e`n: _ ♦ n: ending of the objective, also marks direction
.
hotelo
hotel': hotel
o: ending of nouns (substantive)
.
ideo
ide': idea
o: ending of nouns (substantive)
.
ilia
ili: they
ili`a: their ♦ a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
ili
ili: they
.
instruis
instru': instruct, teach
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
iros
ir': go
os: ending of future tense in verbs
.
iun
iu: any one
n: ending of the objective, also marks direction
.
japano
japan': Japanese
o: ending of nouns (substantive)
.
jenmia
jen: behold, lo (jen...jen...: sometimes...sometimes...)
mi: I
mi`a: my, mine ♦ a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
juna
jun': young
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
kafi
kaf': coffee
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
kafon
kaf': coffee
o: ending of nouns (substantive)
n: ending of the objective, also marks direction
.
kaftrinki
kaf': coffee
trink': drink
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
kafumi
kaf': coffee
um': this syllable has no fixed meaning
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
kaj
kaj: and
.
kantas
kant': sing
as: ending of the present tense in verbs
.
kantema
kant': sing
em': inclined to, having a tendency ▌babil'em': talkative ♦ babil': chatter
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
kiam
kiam: when
.
kisema
kis': kiss
em': inclined to, having a tendency ▌babil'em': talkative ♦ babil': chatter
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
kisi
kis': kiss
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
kiu
kiu: who, which
.
kiuj
kiu: who, which
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
.
konus
kon': know (by experience or study), recognise
us: ending of conditional in verbs
.
kritikadon
kritik': critick, criticise
ad': denotes duration of action ▌danc'ad': dancing ♦ danc': dance
o: ending of nouns (substantive)
n: ending of the objective, also marks direction
.
kritikojn
kritik': critick, criticise
o: ending of nouns (substantive)
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
n: ending of the objective, also marks direction
.
kuiri
kuir': cook
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
kuirmaniero
kuir': cook
manier': manner
o: ending of nouns (substantive)
.
kundiregnulo
kun: with
Di': god
regn': kingdom
ul': person noted for... ▌avar'ul': miser, covetous person ♦ avar': covetous
o: ending of nouns (substantive)
.
l'somero
l': elided (la: the) █ (li: he, them)
': (elision)
somer': summer
o: ending of nouns (substantive)
.
la
la: the
.
lago
lag': lake
o: ending of nouns (substantive)
.
legema
leg': read
em': inclined to, having a tendency ▌babil'em': talkative ♦ babil': chatter
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
li
li: he
.
lian
li: he
li`a: his ♦ a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
n: ending of the objective, also marks direction
.
limaki
limak': snail
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
lin
li: he
n: ending of the objective, also marks direction
.
malpura
mal': denotes opposites ▌mal'alt': low ♦ alt': high
pur': pure
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
malpurajn
mal': denotes opposites ▌mal'alt': low ♦ alt': high
pur': pure
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
n: ending of the objective, also marks direction
.
maniero
manier': manner
o: ending of nouns (substantive)
.
marŝo
marŝ': march, walk
o: ending of nouns (substantive)
.
menson
mens': mind
o: ending of nouns (substantive)
n: ending of the objective, also marks direction
.
mezo
mez': middle
o: ending of nouns (substantive)
.
mia
mi: I
mi`a: my, mine ♦ a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
mi
mi: I
.
min
mi: I
mi`n: me (obj.) ♦ n: ending of the objective, also marks direction
.
minacinto
minac': menace, threat
int': ending of past part. Act. ▌far'int': having done ♦ far': do
o: ending of nouns (substantive)
.
multaj
mult': much, many
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
.
multajn
mult': much, many
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
n: ending of the objective, also marks direction
.
muskola
muskol': muscle
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
ne
ne: no, not
.
nevidebla
ne: no, not
vid': see
ne`vid'ebl': invisible ♦ ebl': able, possible ▌kompren'ebl': comprehensible ♦ kompren': comprehend
ebl'a: possible ♦ a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
nigri
nigr': black
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
nigris
nigr': black
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
noto
not': note
not'o: note (mus.) ♦ o: ending of nouns (substantive)
.
oftajn
oft': often
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
n: ending of the objective, also marks direction
.
oftan
oft': often
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
n: ending of the objective, also marks direction
.
parolas
parol': speak
as: ending of the present tense in verbs
.
parole
parol': speak
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
paroli
parol': speak
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
parolmaniero
parol': speak
manier': manner
o: ending of nouns (substantive)
.
pensi
pens': think
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
pensmaniero
pens': think
manier': manner
o: ending of nouns (substantive)
.
per
per: through, by means of
.
pertaksie
per: through, by means of
taksi': taxi
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
piedirado
pied': foot
ir': go
ad': denotes duration of action ▌danc'ad': dancing ♦ danc': dance
o: ending of nouns (substantive)
.
pipulo
pip': pipe (tobacco)
ul': person noted for... ▌avar'ul': miser, covetous person ♦ avar': covetous
o: ending of nouns (substantive)
.
pri
pri: concerning, about
.
renkonti
renkont': meet
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
reserĉoj
re': again, back
serĉ': search
o: ending of nouns (substantive)
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
.
revenos
re': again, back
ven': come
os: ending of future tense in verbs
.
ridinte
rid': laugh
int': ending of past part. Act. ▌far'int': having done ♦ far': do
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
rigardate
rigard': behold, look at
at': ending of pres. part. pass. ▌far'at': being done ♦ far': do
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
rigardis
rigard': behold, look at
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
sakstrato
sak': sack
strat': street
o: ending of nouns (substantive)
.
saman
sam': same
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
n: ending of the objective, also marks direction
.
samdialektano
sam': same
dialekt': dialect
an': inhabitant, member, supporter ▌Nov-Jork'an': New Yorker ♦ Nov-Jork: New York
o: ending of nouns (substantive)
.
samdialektanon
sam': same
dialekt': dialect
an': inhabitant, member, supporter ▌Nov-Jork'an': New Yorker ♦ Nov-Jork: New York
o: ending of nouns (substantive)
n: ending of the objective, also marks direction
.
samlandano
sam': same
land': land, country
an': inhabitant, member, supporter ▌Nov-Jork'an': New Yorker ♦ Nov-Jork: New York
o: ending of nouns (substantive)
.
samlingvano
sam': same
lingv': language
an': inhabitant, member, supporter ▌Nov-Jork'an': New Yorker ♦ Nov-Jork: New York
o: ending of nouns (substantive)
.
sampartiano
sam': same
parti': party
an': inhabitant, member, supporter ▌Nov-Jork'an': New Yorker ♦ Nov-Jork: New York
o: ending of nouns (substantive)
.
samrasano
sam': same
ras': breed , race
an': inhabitant, member, supporter ▌Nov-Jork'an': New Yorker ♦ Nov-Jork: New York
o: ending of nouns (substantive)
.
samreligiano
sam': same
religi': religion
an': inhabitant, member, supporter ▌Nov-Jork'an': New Yorker ♦ Nov-Jork: New York
o: ending of nouns (substantive)
.
samvalano
sam': same
val': valley
an': inhabitant, member, supporter ▌Nov-Jork'an': New Yorker ♦ Nov-Jork: New York
o: ending of nouns (substantive)
.
se
se: if
.
sekvato
sekv': follow
at': ending of pres. part. pass. ▌far'at': being done ♦ far': do
o: ending of nouns (substantive)
.
sekvito
sekv': follow
it': ending of past part. pass. in verbs ▌far'it': being done ♦ far': do
o: ending of nouns (substantive)
.
sen
sen: without
.
senflama
sen: without
flam': flame
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
senflame
sen: without
flam': flame
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
sentas
sent': feel, perceive
as: ending of the present tense in verbs
.
serĉadoj
serĉ': search
ad': denotes duration of action ▌danc'ad': dancing ♦ danc': dance
o: ending of nouns (substantive)
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
.
serĉeraro
serĉ': search
erar': err, mistake
o: ending of nouns (substantive)
.
serĉiĝontoj
serĉ': search
iĝ': to become ▌ruĝ'iĝ': blush ♦ ruĝ': red
ont': ending of fut. part. act.▌far'ont': about to do ♦ far': do
o: ending of nouns (substantive)
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
.
si
si: himself, herself, itself, oneself, themselves
.
sin
si: himself, herself, itself, oneself, themselves
si`n: one's self (obj.) ♦ n: ending of the objective, also marks direction
.
ŝin
ŝi: she
n: ending of the objective, also marks direction
.
skribota
skrib': write
ot': ending of fut. part. pass. ▌far'ot': about to be done ♦ far': do
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
sola
sol': only, alone
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
somermeza
somer': summer
mez': middle
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
.
sportulan
sport': sport
ul': person noted for... ▌avar'ul': miser, covetous person ♦ avar': covetous
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
n: ending of the objective, also marks direction
.
sportulojn
sport': sport
ul': person noted for... ▌avar'ul': miser, covetous person ♦ avar': covetous
o: ending of nouns (substantive)
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
n: ending of the objective, also marks direction
.
studentan
student': student
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
n: ending of the objective, also marks direction
.
studentojn
student': student
o: ending of nouns (substantive)
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
n: ending of the objective, also marks direction
.
svarmis
svarm': swarm
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
svarmon
svarm': swarm
o: ending of nouns (substantive)
n: ending of the objective, also marks direction
.
taksie
taksi': taxi
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
taksioo
taksi': taxi
o: ending of nouns (substantive)
o: ending of nouns (substantive)
.
taksios
taksi': taxi
os: ending of future tense in verbs
.
temaron
tem': thema
ar': a collection of objects ▌arb'ar': forest ♦ arb': tree
ar'o: set ♦ o: ending of nouns (substantive)
n: ending of the objective, also marks direction
.
temoj
tem': thema
o: ending of nouns (substantive)
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
.
temojn
tem': thema
o: ending of nouns (substantive)
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
n: ending of the objective, also marks direction
.
tie
tie: there
.
tiean
tie: there
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
n: ending of the objective, also marks direction
.
tiu
tiu: that
.
tiun
tiu: that
n: ending of the objective, also marks direction
.
trastumblis
tra: through
stumbl': stumble, trip, misstep, miss one's step.
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
trazigzagis
tra: through
zigzag': zigzag
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
trinki
trink': drink
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
turni
turn': turn (vb.)
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
tute
tut': whole
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
.
ulo
ul': person noted for... ▌avar'ul': miser, covetous person ♦ avar': covetous
o: ending of nouns (substantive)
.
urben
urb': town
e: ending of adverbs ▌bon'e: well ♦ bon': good
e`n: _ ♦ n: ending of the objective, also marks direction
.
urbo
urb': town
o: ending of nouns (substantive)
.
vagadis
vag': rove, extravagate
ad': denotes duration of action ▌danc'ad': dancing ♦ danc': dance
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
vastan
vast': wide, vast
a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
n: ending of the objective, also marks direction
.
verdi
verd': green
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
verdis
verd': green
is: ending of past tense ▌mi am'is: I loved
.
vi
vi: you
.
viajn
vi: you
vi`a: your ♦ a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
j: sign of the plural ▌patr'o`j: fathers ♦ patr'o: father
n: ending of the objective, also marks direction
.
vian
vi: you
vi`a: your ♦ a: termination of adjectives ▌hom'a: human ♦ hom': man
n: ending of the objective, also marks direction
.
vidas
vid': see
as: ending of the present tense in verbs
.
vidi
vid': see
i: termination of the infinitive in verbs ▌laŭd'i: to praise
.
vin
vi: you
vi`n: you (obj.) ♦ n: ending of the objective, also marks direction
.
volas
vol': wish, will
as: ending of the present tense in verbs